Immatures, tendres, compagnons rêvés de femmes affirmées et débordantes d'énergie, les «mâles doux» seraient de plus en plus nombreux.
«Charmant, tendre, à l'écoute, plein d'humour et de fantaisie…» Quand elle décrit son dernier partenaire amoureux, Sophie ne tarit pas d'éloges. «Cet homme était absolument délicieux.» La jeune femme profita presque une année entière de cet être idéal, jusqu'au jour où, à quelques semaines de leur mariage, il est tout simplement parti, sans prévenir, ni même laisser un mot d'explication. Et n'a jamais plus donné aucune nouvelle. Sophie, deux ans après, en est encore bouleversée. «Qu'il ait mis fin de manière aussi lâche à notre histoire m'a sidérée et atteinte au plus profond de moi, déplore-t-elle. Pourquoi ne m'a-t-il rien dit ni laissé entrevoir ?»
Pour le Dr Jean-Paul Mialet, psychiatre et psychothérapeute, qui vient de publier un brillant essai sur les différences entre hommes et femmes, Sex Aequo (Éd. Albin Michel), ce scénario inimaginable n'a rien de surprenant. Lui reçoit chaque jour dans sa consultation un certain nombre de ces hommes qui, après avoir donné le meilleur d'eux-mêmes dans leur couple, s'en échappent dès que possible, et soudainement. Leur caractéristique principale? «Ils ont la fâcheuse tendance depuis toujours à se conformer aux exigences et normes féminines jusqu'au moment où ils lâchent ce personnage, et ce tout à coup.»
les femmes veulent des compagnons attentifs
On les voit faire les boutiques avec leurs douces, pousser le landau pendant qu'elles essayent des chaussures, se montrer attentifs au moindre de leurs souhaits, car les femmes, c'est vrai, veulent aujourd'hui des compagnons très attentifs. «Mais dans l'intimité, ils n'osent guère exprimer leurs désirs - notamment sexuels - ni parler de leurs problèmes au bureau, poursuit le Dr Jean-Paul Mialet. Alors que la vie professionnelle est devenue effroyablement menaçante et concurrentielle pour eux, ils n'osent pas confier leurs soucis de cet ordre à leurs compagnes, car elles considèrent que c'est déjà une chance d'être un homme professionnellement, quand elles ont des salaires plus bas, etc. Résultat, elles ignorent souvent cet aspect de la vie masculine, continuant juste à vouloir être aidées pour la gestion domestique.»
Serviables, ils se plieraient en quatre pour que leurs compagnes soient satisfaites. Ils ont peur des conflits et veulent avant tout se faire aimer, rejouant là une forme de séduction qu'ils ont développée face à leurs mères. Mais soudain, parce qu'ils ont toujours refoulé leur agressivité, ils se retrouvent parfois à faire le pire: après avoir tout donné à sa compagne vénérée, le bon garçon quitte parfois le navire… pour une autre. «Mais attention, prévient le Dr Jean-Paul Mialet, dès que la nouvelle femme a repris la main, le gentil toutou réapparaît.» Autres échappatoires à leur profil si lissé pendant tant d'années: l'infidélité, l'addiction au jeu ou à l'alcool, le harcèlement envers leurs collègues de bureau…
Des hommes «préadultes»
Aux États-Unis, on les a baptisés les «Mr Nice Guys», suivant la définition qu'en a donnée au début des années 2000 Robert Glover, un psychothérapeute de Seattle, qui a su identifier et théoriser ce syndrome du gentil garçon qui a même inspiré un film avec Jim Carrey (voir son livre Trop gentil pour être heureux. Le syndrome du chic type, traduit de l'anglais par Clémence Ma et publié chez Payot).
Le syndrome du gentil garçon reste d'actualité puisqu'une chercheuse de l'institut Manhattan, Kay Hymowitz, a ouvert une polémique au printemps dernier en publiant Manning up: How the Rise of Women Has Turned Men into Boys («Comment l'élévation des femmes a transformé les hommes en petits garçons»). Pour cette décrypteuse de tendances, le postféminisme a donné naissance à cette nouvelle catégorie d'hommes «préadultes». À force de leur envoyer des messages contradictoires: «le rôle du père est fondamental» et, en même temps, «les pères sont une option»; ou «nous aimons les hommes qui ont confiance en eux» et «nous refusons toute marque d'autoritarisme», les femmes auraient accentué la crise identitaire d'un mâle incertain.
Pour le Dr Jean-Paul Mialet, il est bien question de répartition des pouvoirs entre les deux sexes: «un couple est un équilibre de pouvoirs tempéré par le respect de l'autre et par le besoin de préserver le lien. Mais certains, par défaut de construction, sont incapables de défendre leur territoire. Cela se rencontre aussi bien chez la femme que chez l'homme. La crainte de perdre son conjoint, quand il y a une fragilité abandonnique, place dans un état de dépendance qui justifie toutes les concessions. Trop de concessions rendent la situation irrespirable et dès qu'une ouverture (souvent illusoire) se présente, on lâche!» Autrefois, il n'y avait qu'à suivre le mode d'emploi pour fixer les rôles. Aujourd'hui, chacun doit oser porter haut ses désirs sans agresser l'autre. Les «bons garçons» sauront-ils muer ?