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Discrimination, sexisme et rasoirs roses exorbitants

Publié sur contrepoints.org

le 4 novembre 2014 dans Édito

Même si la France, citoyenne et guillerette, trottine tous les jours vers les vastes prairies de l’égalitarisme total nous assurant à tous du miel et du lait par tsunamis onctueux, il n’en reste pas moins d’importants combats à mener pour s’assurer que nous arriverons tous à destination sans nous perdre en chemin. Aujourd’hui, nous découvrons avec stupeur une pierre de plus, jetée sur la route pourtant lisse qui doit nous mener au bonheur intégral : les produits féminins seraient bien plus chers que les produits masculins.

Or, s’il existe bien une règle absolue à laquelle personne n’échappera dans tout pays qui se veut égalitaire, c’est celle qui dit qu’on ne doit discriminer personne et, mieux, qu’on doit absolument accommoder tout le monde. Et ça tombe bien : la France est le pays qui a placé au rang d’art le fait d’accommoder les choses entre elles, comme en cuisine avec le sucré et le salé, ou en politique avec les blaireaux et les ânes. Accommoder les producteurs avec leurs consommatrices ne devrait donc pas relever de l’impossible, qui n’est pas Français et ça tombe donc encore mieux.

Tout part du constat d’une banalité presque violente que certains produits, destinés à des femmes, sont plus chers que leurs équivalents masculins.

Grâce à l’enquête de terrain menée par une volée de trentenaires ne reculant devant aucun effort pour découvrir une vérité jusqu’alors cachée de tous, le pays découvre petit-à-petit l’ampleur de la conspiration qui s’est jouée, depuis des décennies, contre la moitié de la population. C’est le collectif Georgette Sand, toute jeune association manifestement fort bien introduite auprès des médias, qui aura alerté l’opinion sur cet extraordinaire scandale, grâce à l’habile truchement d’un communiqué de presse facile à gober sans mâcher et à digérer pour le journaliste-pigiste du 21ème siècle. Et c’est Gaëlle Couraud, apparemment désignée par le collectif pour porter fièrement sa parole, qui s’est écriée :

« On s’est rendu compte que sur des produits de la consommation quotidienne, les femmes étaient systématiquement taxées ! »

Diable ! Ainsi donc, les femmes subiraient une « taxe rose » ! Ainsi, un déodorant (de couleur rose) pour les femmes sera vendu 4,15€ alors que le même en noir, insidieusement libellé « pour homme », ne sera vendu que 4,11€, soit une différence de 4 centimes. On pourrait, devant la modestie de la différence, hausser des épaules. Ce serait une grave erreur, parce que cette dernière est parfois bien plus importante, comme chez le coiffeur où le shampoing-coupe-brush s’étalonne gentiment autour de 8€ là où la même opération s’affiche à un 13€ indécent pour les femmes.

 

Le pays vacille. Les foules, en effroi, s’agitent et la tension est à son comble. Qui va bien pouvoir se lever et, enfin, mettre un terme à ces discriminations abominables ? Rassurez-vous : cette question, aussi rhétorique que conne, est heureusement répondue avec vélocité par Pascale Boistard, qui est, comme vous le savez bien évidemment, la secrétaire d’état payée avec vos sous pour se charger des droits des femmes qui ne comprenaient apparemment pas celui, indispensable, d’acheter des produits masculins lorsqu’ils sont les mêmes que ceux des femmes, mais moins chers :

« C’est une injustice qui ne doit pas perdurer. »

C’est pourquoi, entre deux réformes dantesques et autres annulations de taxes virulentes dont le pays est maintenant perclus, les agents de la forteresse de Bercy se pencheront sur le cas épineux qui leur est présenté : une enquête sera lancée, des relevés seront faits, des actions seront prises et les coupables seront, soyez-en assurés, punis. Ouf, on a évité le pire.

Mais pas l’avalanche de facepalms.

Encore une fois, on est ici dans le même raisonnement boiteux que celui qui présuppose que les femmes sont victimes de discriminations salariales, et subiraient un plafond de verre qui leur interdirait des postes hauts placés comme grutier ou commandant de bord (ou qui relèguerait Christiane Taubira aux karaokés d’estrade). La réalité, comme bien souvent, est bien plus complexe que ce que les féministes de combat, les bobos et autres lutteurs anti-discrimination tous azimuts sont capables d’appréhender.

La réalité, c’est par exemple que si les femmes étaient systématiquement moins chères que les hommes à l’embauche, les patrons (dont on leur reproche d’être toujours trop près de leurs sous) n’embaucheraient plus d’hommes, et réaliseraient ainsi de substantielles économies sur leur masse salariale. Mais s’il ne le font pas, c’est à l’évidence qu’il y a un complot sexiste patriarcal et tant pis pour le rasoir d’Occam (dont la version rose se vend manifestement très mal).

La réalité, c’est que lorsqu’on le leur demande, les femmes préfèrent majoritairement être dirigées par des hommes que par des femmes. Là encore, il semble évident que l’enquête qui, depuis plusieurs décennies, parvient régulièrement à cette conclusion est réalisée par une bande de machos dominateurs. Aucune autre explication n’est possible.

Quant aux honteuses différences de prix entre les produits, l’énorme bruit de fond médiatique causé par la « révélation » du collectif de vaillants branleurs et de courageuses cruches en cache la raison pourtant fort simple : le marché, qui est l’agglomération rationnelle et inévitable de millions de choix individuels, a montré sans réfutation possible que c’est exactement ce que les gens voulaient. Non, le déodorant rose pour femme n’est pas le même que le déodorant noir pour homme et oui, certaines femmes sont effectivement prêtes à payer un peu plus pour avoir un emballage rose.

En toute logique, le collectif devrait s’en prendre à ces individus-là qui ont le mauvais goût de choisir une telle couleur pour un déodorant, qui ont le porte-feuille suffisamment détendu pour se permettre ce genre de folies. Mais voilà, s’en prendre à eux, c’est refuser la liberté de ces individus qui achètent des déodorants plus chers en toute connaissance de cause, ou (plus grave) sous-entendre qu’ils sont trop cons pour mesurer la différence.

Du reste, le collectif n’a pas mené l’étude inverse, qui aurait montré que certains produits, certains services, sont effectivement plus coûteux pour les hommes que pour les femmes (parce qu’avec les hommes, c’est bien fait pour eux, peut-être ?). Entre les chaussures et le prêt-à-porter (notoirement plus cher pour les hommes que pour les femmes, quantités écoulées obligent sans doute), et certains services gratuits pour les femmes mais pas pour les hommes (les entrées en boîtes de nuit, par exemple), on comprend qu’en réalité, la différence s’inscrit dans une démarche tout à fait logique et que la discrimination (i.e. la différenciation, la segmentation de marché) répond à la fois à un besoin pour le consommateur, et à une contrainte pour le producteur.

Enfin, on peut s’interroger franchement sur le bon sens de l’œuvre du collectif : à quoi peut bien servir la pétition lancée ? Combien pèseront les 20.000 (ou même 100.000 signatures) récoltées devant les millions d’actes individuels qui valident tous les jours, consciemment ou non, les stratégies des vendeurs et les attentes des acheteurs ? Le risque évident n’est bien sûr pas dans les petits crobards pétitionnaires, mais dans la suite qui leur sera donnée, sous forme d’un énième lobbying gouvernemental ou parlementaire, qui aboutira, une fois de plus, à une règlementation (ou pire, à une contre-taxe).

Et d’après vous, qu’adviendra-t-il de la liberté des prix lorsque ce lobbying sera passé ?