Réfléchir à la condition des hommes

publié le 18 janvier 2010

Il importe prioritairement de valoriser la paternité, de renforcer l’identité des hommes et de promouvoir une image positive d’eux.

Le rapport Rondeau

Parler des hommes dans les médias, ce n’est pas tout à fait conforme à la rectitude politique; par les temps qui courent, l’élément masculin doit faire preuve de retenue et de discrétion. Nous vivons dans une société de plus en plus féminisée qui ne rate pas l’occasion de mettre en évidence les réalisations des femmes. Il faut s’en réjouir dans une large mesure, puisque c’est un juste retour des choses : les femmes ont essuyé l’oppression et des injustices au cours des siècles et leur émancipation complète est loin d’être acquise. Mais il faut avouer que l’homme subit les contrecoups des avancées de l’univers féminin. Il se questionne sur ces façons d’être et de faire, tout en étant témoin de l’érosion de son système de valeurs, au point d’être placé dans un état de crise existentielle. Les hommes assument donc un destin de plus en plus lourd et exigeant.

Ce qui est horrible dans la condition masculine, c’est de toujours faire face, d’être le meilleur, de ne jamais manifester de faiblesse, une dynamique de la maîtrise de soi qui mène parfois à des attitudes ou des comportements autodestructeurs. La suite, on peut la deviner : les dysfonctions comportementales et les maladies refuges comme la psychose, la névrose, l’alcoolisme, etc.

L’impact du féminisme

Au Québec, la venue du féminisme a certes permis aux femmes de progresser dans la conquête de leurs droits et libertés; elles ont su transformer leur milieu de vie. Qui plus est, les valeurs dites féminines (intériorité, prudence, empathie, conservation, pacifisme), d’alléguer l’éditorialiste de La Presse, Mario Roy, constituent aujourd’hui les étalons de mesure à partir desquels tout est jugé. L’idéologie féministe a fait table rase de tout un pan de la culture humaine. Ce n’est pas peu dire. Il est alors pertinent de croire que cette mouvance féministe est inséparable d’une condition masculine qui suscite actuellement des inquiétudes.

D’aucuns soutiennent que, avec les années, les acquis du féminisme ont pris des proportions déraisonnables qui créent un déséquilibre par rapport à la condition masculine. Les problèmes sociaux et juridiques des hommes et les besoins qui en découlent sont immenses comme le démontre le rapport Rondeau publié en 2004.

Le féminisme a grandement contribué au rejet de l’autorité de type paternel qui imposait parfois des bornes rigides et inégalitaires. Allié à la libération sociale des années 70 - pensons au slogan Peace and Love - le mouvement des femmes a fait en sorte que l’autorité, considérée comme du fascisme, devienne moins persuasive et s’affaiblisse; son déclin a même été perçu par certaines gens comme un progrès. L’auteur du livre Le féminisme et ses dérives, Jean Gabard, explique avec justesse :

Dans la nouvelle démocratie, la grandeur est ridiculisée, inversement small is beautiful. (…) Tous les pouvoirs, toutes les hiérarchies, toutes les institutions, qu’elles soient militaires, politiques, religieuses, scolaires, familiales, sont déconsidérés. (…) Tout ce qui était opprimé doit être soutenu. Il faut défendre la cause des enfants, la cause des adolescents contre les adultes, la cause des femmes et des homosexuels contre le pouvoir mâle… La nouvelle pensée dominante est celle qui défend les dominés.

Une fragilité identitaire

Les hommes se sentent maintenant déstabilisés et perplexes. Pourquoi ce désir de la compétition à outrance ? Sommes-nous si supérieurs aux femmes ? Pourquoi craindre les émotions ? Pourquoi fuir l’intimité ? D’où provient le désir de domination ? Pourquoi vouloir toujours s’imposer et se montrer les meilleurs ? Et cette indiscutable violence masculine ? Bref, c’est la déconstruction de la masculinité. Et le psychiatre britannique, le Dr Anthony Clare, va plus loin lorsqu’il écrit : À l’aube du XXI e siècle, la masculinité est dépeinte par plusieurs analystes comme un état de déviance, comme une pathologie.

L’effondrement des valeurs masculines traditionnelles a renforcé la fragilité identitaire de l’homme d’ici, malheureusement trop habitué à une image de perdant et de gagne-petit, profondément enfoncé dans un complexe d’infériorité inscrit dans une histoire impossible à refaire : les hommes canadiens-français ont perdu la bataille des Plaines d’Abraham en 1760 et les rébellions de 1837 et 1838 leur ont été défavorables.

Les difficultés de certains pères n’arrangent rien au vécu des hommes. Le 8 février 2005, Radio-Canada présentait, dans le cadre de l’émission Enjeux, un documentaire de Serge Ferrand intitulé : La Machine à broyer les hommes. L’auteur y démontrait les discriminations que vivent les hommes, en ce qui concerne surtout les litiges familiaux et la détresse des pères à la suite de la décision de confier la garde des enfants aux mères, même si souvent le tribunal ne fait qu’homologuer une entente entre les parents. Il faut donc comprendre les réactions masculines à l’endroit d’une situation souvent injuste.

Pour certains autres, les épreuves commencent à l’heure de la retraite. Plongés pendant des années dans un travail qui absorbait énergie et intérêt, plusieurs hommes n’ont pas su préparer ce grand virage frappant comme un coup de massue. Leur identité de travailleurs s’effondre. Que faire maintenant de son existence ? Comment donner un nouvel élan à ses motivations pour satisfaire ses besoins et être heureux ? Faut-il retourner au boulot ?

De l’espoir à l’horizon

On l’a souvent répété, l’homme d’ici doit cesser de croire qu’il est un minus habens et c’est la condition essentielle pour se refaire une identité masculine forte et solide. Il demeure crucial de s’inspirer de grands modèles. Chacun dans son domaine respectif, Maurice Richard, Jean Béliveau, Alexandre Despatie, Félix Leclerc, Michel Tremblay, Alain Lefebvre, Fernand Dumont, Jean-Paul Lemieux, Pierre-Elliot Trudeau, René Lévesque, Jacques Parizeau, Lucien Bouchard… sont des hommes porteurs de grandes qualités; leur réussite et leur comportement viennent renforcer notre identité masculine. Chacun de nous, sur une échelle moindre, nous sommes capables de marquer notre destin et d’accomplir des choses pour le plus grand bien de notre entourage et de la communauté.

La condition masculine est trop importante pour être surtout une revendication de garde d’enfants, une empoignade sur les pensions alimentaires ou des discussions oiseuses sur le féminisme outrancier. La condition masculine, ce n’est pas le masculinisme radical, outrageux et blessant et pour la femme et pour l’homme. La condition masculine doit inciter à une réflexion profonde et appropriée sur le quotidien des hommes dans notre société, en ayant bien dans l’esprit que l’avenir de la femme, c’est l’homme et que l’avenir de l’homme, c’est la femme. Aucun débat ne sera donc possible si l’on maintient une dialectique de l’affrontement entre les sexes.

Oui, le tableau de la condition masculine est sombre, mais un certain espoir pointe à l’horizon. Les hommes de bonne volonté, ceux qui voudront s’affirmer dans une masculinité renouvelée, réussiront sans doute à bien identifier leurs besoins et à se tourner vers des solutions idoines. Des exigences seront toutefois incontournables : la nécessité de faire le point sur leur propre vie, de l’introspection, une prise de conscience de leurs difficultés et l’action salvatrice qui permet souvent de tourner la page et de s’engager dans la voie du renouveau.