Outils pour l'égalité à l'école

Voici un article d'une interview de monsieur Auduc réalisé auprès du site "enseignants pour enfance" :

Interview de Jean-Louis Auduc sur les « Outils pour l’égalité filles-garçons à l’école »

mardi 2 décembre 2014, par oleg

Jean-Louis Auduc, professeur agrégé d’histoire, a enseigné en collège et en lycée. Comme directeur-adjoint de l’IUFM de Créteil, il a mis en place des formations sur les relations parents-enseignants à partir de 1999 et a travaillé sur la question de la mixité scolaire. Au nom de cette double compétence, il a été consulté par le Ministère de l’Education nationale au sujet des « Outils pour l’égalité filles-garçons à l’école ». Sur ce projet et sa mise en œuvre, nous lui avons posé les questions suivantes, auxquelles il a répondu en toute liberté.

Jean-Louis Auduc, pouvez-vous tout d’abord vous présenter et dire ce qui vous a amené à réfléchir à la question de la mixité à l’école ?
Comme je l’ai dit dans un texte « Dix conseils pour bien gérer la mixité filles-garçons »[1], mettre des garçons et des filles ensemble dans la classe ne résout en aucun cas la question de l’égalité des droits des uns et des autres. La mixité n’a jamais été pensée en France. La conséquence de cette situation m’est apparue comme un échec scolaire masculin précoce qui n’apparaissait pas dans les statistiques indifférenciées. Celles-ci évoquent150 000 jeunes sortant sans qualification, sans dire qu’il y a plus de 110 000 jeunes garçons. De même, on parle de 20% de jeunes élèves ne sachant pas lire au sortir de l’école primaire, sans dire qu’il s’agit de près d’un garçon sur trois et de moins d’une fille sur 8 ! La situation est également catastrophique dans le domaine de la lecture : 32% des garçons (près d’un garçon sur trois) n’atteignent pas en 2012 le niveau de compétence en compréhension de l’écrit, considéré comme un minimum à atteindre pour réussir son parcours .

Prendre conscience de l’échec scolaire masculin précoce est un véritable enjeu de société. Faire réussir tous les élèves, quel que soit leur genre, peut permettre de diminuer la violence, de rendre le travail sur les stéréotypes plus efficace. Il ne s’agit pas de prôner des classes non-mixtes, mais de mieux penser la gestion pédagogique de la mixité dans le cadre de classes mixtes, pour toujours plus mettre en place les conditions d’un meilleur vivre ensemble. Il n’est plus possible d’en rester à la situation actuelle tant l’échec scolaire masculin est précoce et pèse sur notre société. Les inégalités dans la réussite scolaire apparaissent pour une bonne part liées à une pédagogie inadaptée qui pénalise massivement les garçons et particulièrement ceux des milieux défavorisés où les familles ne peuvent compenser les manques de l’école. Le défaut français d’enseigner pareillement à tous les élèves sans prendre en compte leurs spécificités, leurs rythmes, apparaît comme responsable d’un échec scolaire des garçons face à des filles plus matures dans certains domaines. Mon objectif principal vise donc à lutter contre l’indifférenciation. Un enseignant a devant lui des filles et des garçons et c’est une erreur de n’évoquer que des « élèves ».

Quelle a été votre contribution aux "Outils pour l’égalité entre les filles et les garçons à l’école" ?
Je mène des recherches dans deux domaines :
L’amélioration des relations parents-enseignants, ce qui m’a amené à travailler avec la commission parlementaire présidée par Xavier Breton [2], à écrire différents articles et ouvrages sur la question et à piloter un comité de réflexion sur les relations Familles-Ecole auprès d’une grande fédération de parents d’élèves.
L’échec scolaire masculin précoce et notamment les grandes difficultés des jeunes garçons à l’entrée au collège en proie à une crise d’identité lors de la sortie de l’enfance, celle-ci étant due notamment à l’absence de modèles masculins.
C’est par rapport à ces deux compétences que je suis intervenu dans une interview sur le site national du ministère et lors du séminaire national qui s’est tenu à l’École Supérieure de l’Éducation Nationale du 26 au 28 novembre 2014. J’ai fait le pari de la reconnaissance de la voie dangereuse que représentaient les approches précédentes et celui de l’intelligence des acteurs de l’Éducation nationale. Quand Ludovine de La Rochère déclare le 27 novembre 2014 « le contenu de ce nouveau site internet est plus raisonnable, c’est très positif », je pense avoir eu raison de contribuer à améliorer le dispositif mis en place.

Dans l’ensemble, que pensez-vous de ce projet ?
Trois ruptures avec les anciens ABCD de l’Égalité me semblent importantes :
L’ensemble du site national se place dans une posture qui ne confond plus la notion d’égalité des droits filles-garçons dans leurs différences réciproques et mise en cause de leur identité. Il rompt ainsi avec une logique d’indifférenciation.
Le site national montre bien que l’égalité des droits passe par une prise en compte à l’école de la personne des élèves, garçons et filles, et implique de s’attaquer aux difficultés des uns et des autres. A l’inverse des ABCD de l’Égalité, la ministre de l’Éducation nationale a clairement indiqué comme cible des actions pour l’égalité des droits l’échec scolaire des garçons. Comment voulez vous que je ne sois pas d’accord, lorsqu’elle déclare lors de sa conférence de presse que « les garçons fournissent le gros des bataillons de décrocheurs » ?
Enfin, le projet national a tenu compte des critiques faites aux ABCD de l’Égalité, notamment de celles du rapport de l’Inspection Générale de juin 2014, qui indiquait, concernant ce site et cette expérimentations : « Il est cependant regrettable de trouver des discours militants non identifiés comme tels et insérés au cœur de développements à portée scientifique. L’action a paru relever davantage d’une volonté déterminée de militantes féministes, ce que ne pouvait que confirmer – aux yeux des contempteurs du dispositif expérimental – l’affichage des ressources sur le site dédié, puisque la parole y est donnée à des femmes seulement. »
Je me réjouis donc de cette inflexion du plan qui apparaît relever plus de la démarche scientifique que du militantisme. D’ailleurs, il suffit de lire un certain nombre d’articles de presse pour voir ce que certains regrettent... [3] L’égalité des droits garçons-filles est sortie du domaine du subjectif pour entrer dans celui de la mise en pratique dans tous les domaines des valeurs de la République, thème à propos duquel je viens de sortir un livre.[4]

Si vous aviez à modifier ce programme, que feriez-vous alors ?
Le cadrage national me semble à peu près clair et raisonnable. Mais chacun sait qu’entre des orientations nationales et ce qui se fait sur le terrain, il y a quelquefois un grand écart. Quelles vont être les différentes déclinaisons locales du plan ? Il y a là des sujets d’attention importants. Je regrette, par exemple, qu’il n’y ait pas un comité de suivi de ce plan, comprenant des représentants de l’Inspection Générale, des chercheurs, des représentants des parents d’élèves, qui pourrait voir tout ce qui se fait dans l’ensemble des académies et juger de la pertinence de ces actions avec le cadrage national de l’actuel plan.

Notes et références

[1] http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/09/06092013Article635140476823267229.aspx
[2] Mission d’information sur les relations entre l’école et les parents, Assemblée nationale, juillet 2014.
[3] « Plan pour l’égalité à l’école : ce que Vallaud-Belkacem a sacrifié aux réacs »
http://rue89.nouvelobs.com/2014/11/27/plan-legalite-a-lecole-vallaud-belkacem-a-sacrifie-reacs-256271
[4] « Faire partager les valeurs de la République » Jean-Louis Auduc http://www.decitre.fr/livres/faire-partager- les-valeurs-de-la-republique-9782011612236.html ?v=2

http://www.enseignants-pour-enfance.org/spip.php?article297