La différence entre hommes et femmes est-elle une question d'éducation ?

Par Jean-Paul Mialet
Psychiatre, spécialiste de l'attention

LE PLUS. Les hommes seraient-ils diminués par les exigences des femmes, comme le laissait entendre un récent article ? Auteur de "Sex Aequo, le quiproquo des sexes" (ed. Albin Michel), le Dr Jean-Paul Mialet réfute la thèse selon laquelle la différence des sexes ne serait que la conséquence d’un conditionnement culturel.

Édité et parrainé par Amandine Schmitt

A notre époque, tout laisse à penser que les hommes et les femmes se confondent. Or, s’ils sont égaux, ils ne sont pas identiques. Mais aujourd’hui, il y a un mimétisme de part et d’autre. Les hommes se mettent en quatre pour répondre aux attentes des femmes tandis que les femmes font semblant de vivre comme les hommes. Mon constat est que personne ne sait plus où il en est.

Très tôt, des différences se marquent. Il ne faut pas oublier que la conscience se forme dans l’expérience des interactions du corps avec l’environnement : deux corps différents mènent à des consciences distinctes et l’on peut dire que la conscience est sexuée, comme le corps. Le petit garçon perçoit vite qu’il dispose d’un membre auquel il peut s’agripper pour échapper à la dépendance de sa mère et affirmer sa différence. Sa vie affective restera marquée par la menace de la dépendance, et par le besoin de prouver qu’il existe par lui-même. La petite fille n’a pas à se différencier en s’opposant au lien maternel : plus tard, la dépendance affective représentera pour elle un but, et le lien constitue sa priorité.

Aujourd’hui, il existe une gêne à être un homme. Pour rendre la vie de leur compagne plus légère, les hommes vont éviter de parler de leur désir, et de choses qui peuvent être considérées comme futiles, comme ce goût masculin pour la performance, le score. La pression des femmes les oblige à garder tout cela en sourdine.

Les hommes en couple participent aux tâches domestiques, mais pas à jeu égal. Les statistiques montrent que le plus gros est encore effectué par les femmes. Ils font comme s'ils y mettaient du cœur, comme s’ils en souciaient. Mais au fond, ils ne s’y impliquent pas comme les femmes. C’est ce que révèlent les enquêtes : l’univers domestique demeure une préoccupation avant tout féminine. Les hommes font bien la cuisine, mais celle des grands jours, pas les plats quotidiens.

La femme demeure la personne qui est en charge de l’équipement nécessaire à faire "tourner" une famille : l’univers des enfants, les rendez-vous chez le médecin, la pharmacie, l'équipement en besoins scolaires. L’homme pense au confort des siens, il se soucie des commodités et de l’aisance matérielle de ceux avec lesquels il vit, mais leur bien-être, les soins et l’attention qu’ils réclament, n’occupent pas une place prioritaire dans son esprit.

Cela se retrouve également dans l’univers érotique. Les femmes font semblant d’être préoccupées par la sexualité alors qu’elles ne le sont pas. Je note un certain décalage entre les médias et les gens que je reçois en consultations. Dans les magazines, les femmes ne pensent qu’à s’envoyer en l’air, qu’à faire des scores. Ce n’est pas ce que j’observe. Beaucoup d’hommes avouent avoir une sexualité auto-érotique qu’ils dissimulent à leur compagne : sur Internet, par des vidéos. Ils s’y évadent dans un érotisme fantasmatique alimenté par des scénarios auxquels ils ne pourraient pas faire participer leur compagne. Jamais aucune femme ne m’a fait de confidences comparables.

En fait, hommes et femmes n’ont pas le même appétit pour le sexe. Dans l’intimité de mon bureau, les femmes se disent souvent encombrées par le désir des hommes. Les hommes mesurent mal combien l’univers féminin est éloigné de leurs fantasmes et combien la génitalité, pour la femme, ne se conçoit qu’au sein d’une relation affective, enfouie en elle comme son sexe est enfoui dans son corps ; pour certains hommes, il est inconcevable que leur partenaire ne soit pas habitée par les mêmes désirs qu’eux.

L’implication professionnelle n’a pas non plus la même importance chez l’homme et chez la femme. Elle revêt chez l’homme une dimension identitaire spécifique. L’homme se mesure à son accomplissement dans le travail, à ses performances professionnelles. C’est pourquoi beaucoup d’hommes qui ont connu une grande réussite professionnelle ne supportent pas la retraite et tombent dans la maladie, contrairement à des femmes de même niveau. L’identité masculine s’appuie sur la reconnaissance de ses performances – au travail ou dans d’autres domaines – alors que les femmes s’épanouissent dans plusieurs registres : celui du pouvoir avec la réussite professionnelle et le pouvoir de séduction ; et celui du lien avec la famille et la procréation.

La femme et l’homme ont bien en commun le besoin de s’attacher et d’aimer, mais chacun à sa façon, en apportant à la relation sa tonalité propre. L’harmonie de la vie de couple est une conquête où chacun s’enrichit des différences, et où l’accord doit être recherché entre des notes distinctes, comme en musique. Il ne faut pas baisser les bras devant les inévitables conflits et ne pas céder aux jugements trop rapides en rangeant dans la catégorie des "machos" tous les hommes qui ne partagent pas les préoccupations féminines, à charge pour les hommes de ne pas qualifier de "viragos" toutes les femmes qui ne se plient pas aux exigences masculines.

De nos jours, hommes et femmes ne sont plus définis de l’extérieur par une société dont les assignations n’étaient pas remises en cause. Cela n’a pas que de mauvais côtés. Mais le risque est qu’ils s’interrogent sur eux-mêmes au point d’oublier l’autre, dans une sorte de repli autistique qui privilégie la quête narcissique de soi. L’homme et la femme sont certes des êtres sociaux, mais ils sont également des organismes biologiques soutenus par un bain affectif : ils ont commencé leur existence en se différenciant par rapport à autrui et toute leur vie, ils garderont le besoin de cet autrui qui les construit en même temps qu’ils se construisent.

Il n’y a pas d’issue pour soi qui ne passe par autrui. Dans ce monde où soi-même ne peut se concevoir sans l’entourage des autres, la différence des sexes est une altérité primordiale. La définition d’un sexe ne peut faire l’impasse de l’autre sexe. Du moins doit-on admettre aujourd’hui qu’il n’y a ni premier, ni deuxième sexe mais deux sexes en tous points égaux dans leur interdépendance.

Comment continuer à s’aimer en plaçant la liberté au dessus de tout et en excluant les différences qui imposent des compromis ? Lorsque j’ai commencé mon exercice dans les années 70, les gens souffraient de privations de leur liberté. Aujourd’hui, il me semble que l’on se trouve dans la situation inverse : ils souffrent de l’excès de liberté. Le partenaire, l’entourage sont ressentis comme une entrave à la liberté, ce qui conduit à la solitude. Au fond, où est le pire ? Mais certes, la liberté et l’égalité des deux sexes représentent un progrès – à condition qu’on ne perde pas de vue le besoin de l’autre…

source : le Nouvel Obs

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/204206-la-difference-entre-hommes-et-femmes-est-elle-une-question-d-education.html