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Elisabeth Lévy : contre le féminisme des « dangereuses ridicules »

Vous avez intitulé votre dossier: la «terreur féministe». N'est-ce pas un peu exagéré? Doit-on vraiment voir dans les simagrées militantes des néoféministes une forme de «dictature»? Clémentine Autain, Caroline de Haas et les Femen sont-elles vraiment des menaces pour la société?

Eh bien oui, et plus que vous ne le croyez! Je vous remercie tout d'abord de noter que nous ne nous en prenons pas au féminisme lui-même mais à ce que nous appelons le «néo-féminisme» qui s'incarne dans des groupes aussi bruyants qu'ils sont numériquement faibles. Ces nouvelles ligues de vertu exercent bien une forme de terreur - une terreur certes kitsch, ridicule, parfois comique à en pleurer, et c'est cet aspect comique que nous avons voulu souligner par l'image - mais une terreur tout de même. Il ne m'a pas échappé qu'il n'y avait ni KGB ni chef suprême, et que je n'ai pas été arrêtée à la sortie de ce numéro, mais à en juger par leurs réactions totalement délirantes (j'y reviendrai), nos dames-patronnesses (qui sont souvent des hommes) ne seraient pas contre… En attendant, elles entendent imposer une histoire pieuse dans laquelle les femmes sont éternellement victimes et tous les hommes suspects - potentiellement violents, violeurs, harceleurs et j'en passe.

Mais il y a des hommes violents, violeurs…

Oui et je vous rappelle que la loi interdit la violence, sexiste ou pas. Il faut évidemment sanctionner avec fermeté ceux qui brutalisent ou exploitent les femmes. Mais avec les néo-féministes, il s'agit de tout autre chose. Sous couvert de mener des combats gagnés depuis longtemps, elles veulent en réalité régenter les esprits et les comportements, édicter des normes en matière de sexualité, de couple, de désir. Et comme l'a montré Orwell, la terreur opère d'abord sur le langage qu'elles entendent «assainir», expurger de toute trace d'un passé intégralement revisité sous l'étendard de la domination masculine. Interdire les mots pour faire disparaître les choses - et en l'occurrence «la» chose… D'où leur traque insatiable du «dérapage», du sous-entendu, de la blague de travers…et désormais du compliment «sexiste». Pitié! Si elles n'aiment pas ça, qu'elles n'en privent pas les autres!

J'insiste: qu'elles soient ridicules ne les rend pas dangereuses!

Non, ce qui est dangereux, c'est qu'on ne voie pas le ridicule et qu'on prenne au sérieux des élucubrations qui devraient nous faire pouffer. Quand un prix Nobel de médecine doit démissionner de son poste à l'université sous la pression hargneuse et furieuse des «réseaux sociaux», pour avoir fait un trait d'esprit sur les femmes, vous ne voyez pas le danger? [Interrogé sur la présence des femmes dans les labos, il avait déclaré: «on tombe amoureux d'elles, elles tombent amoureuses de nous et quand on les critique, elles pleurent»]. Quand des sites spécialisés dans la délation sont encouragés et montrés en exemple, vous ne voyez pas le danger? Quand des hommes sont menacés de perdre des contrats, des positions, des boulots, parce qu'ils défendent leur point de vue sur la prostitution ou sur tout autre sujet de prédilection de nos gardiennes de la paix des ménages, vous ne voyez pas le danger? Quand de plus en plus d'hommes ont peur de dire ce qu'ils pensent, c'est que la terreur a commencé. Vous ne voyez pas cette soif insatiable de contrôle, de délation, de sanction, le torrent de boue numérique que nos gracieuses combattantes peuvent déverser sur le malheureux qui s'oppose à leurs lubies - «l'envie du pénal» qui a, comme le dit Muray, remplacé «l'envie du pénis»? On finira par criminaliser l'amant inconstant ou indifférent. Monsieur le juge, il ne répond pas à mes textos! Alors oui, on peut dire que ces néo-féministes sont les «dangereuses ridicules».

Mais est-ce que cela ne relève pas plus de la servitude volontaire que d'un danger réel? Comment des groupuscules peuvent-ils être un danger?

Vous n'avez jamais entendu parler de l'avant-garde à la pointe de la Révolution? Ces groupuscules sont dangereux parce que leur influence est sans commune mesure avec leur poids réel. Ils ont table ouverte dans les grands médias où leur discours est parole d'Evangile: jamais un journaliste de France 2 ou BFM n'oserait discuter les bienfaits de la parité ou la pertinence d'un manifeste de femmes journalistes politiques qui se plaignent de vivre un enfer, les pauvrettes.

Un très bon exemple, ce manifeste anti-harcèlement publié en « une » de Libé : dans les salles de rédaction, tout le monde rigolait et, sur les écrans, tout le monde approuvait la mine grave, n'est-ce pas l'exacte définition de la terreur ?

Un très bon exemple, ce manifeste anti-harcèlement publié en «une» de Libé : dans les salles de rédaction, tout le monde rigolait et, sur les écrans, tout le monde approuvait la mine grave, n'est-ce pas l'exacte définition de la terreur? Mais en plus de faire régner un sinistre climat d'inquisition, ce lobby informel pèse sur les décisions gouvernementales. Alors s'il y a servitude volontaire, c'est parce qu'une infime minorité idéologique exerce son pouvoir par la peur et l'intimidation. Et que son ambition est de nous empêcher de rire - de ses innombrables inventions et, plus largement, de tout ce qui a trait aux hommes et aux femmes.

Qu'est-ce qui vous énerve le plus chez les «néoféministes»?

J'hésite entre leur absence totale d'humour, leur hargne victimaire et leur goût pour le contrôle. Non, je crois que c'est ça le plus insupportable, cette inaltérable soif de «surveiller et punir». «Mon corps m'appartient», clamaient les joyeuses filles du MLF. «Ton corps m'appartient», répliquent leurs impayables héritières, apothicaires du désir autant que du fameux partage des tâches ménagères. À moi, la brigade des plumeaux, le bureau des frous-frous (sans doute sexistes, non?)!

La réaction de la féministosphère à notre «une» (car ne croyez pas que ces grandes consciences se donneraient la peine de lire, non, elles ont tout compris à l'avance) est en soi une démonstration. Elles ont lu deux lignes dans le texte de présentation du numéro sur causeur.fr, où Pascal Bories faisait une allusion plaisante à mes ongles vernis (le souci de la vérité historique m'oblige à avouer qu'il s'agissait seulement de mes ongles de pieds). Mes aïeux, quel déferlement! De ces quatre mots («notre chef aux ongles vernis»), nos intellectuelles ont déduit que nous les pensions incapables de se vernir les ongles et fantasmé que nous les traitions de «ventripotentes et poilues». Bref, à brailler et broder sur ce thème, elles se sont auto-persuadées que nous les insultions, ce qui leur a permis de retrouver le trône qu'elles adorent: celui de la victime! Autrement dit, en réplique à des insultes imaginaires, elles nous ont gratifiés d'un torrent d'imprécations bien réelles, c'est génial, non? Quant à s'interroger sur leurs méthodes et leurs combats, cela ne leur a pas traversé l'idée.

Vous parlez de combats gagnés. Nous avons conquis l'égalité» écrivez-vous… N'allez-vous pas trop vite en besogne? Il semble qu'il reste des inégalités flagrantes entre les deux sexes (écart de salaire, représentation politique, etc…)…

Vous admettrez que notre démocratie connaît de nombreuses imperfections et pourtant, diriez-vous que nous ne vivons pas en démocratie? Il en va de même pour l'égalité et c'est très bien: une démocratie parfaitement réalisée serait tout aussi invivable qu'une égalité intégrale. Ceci étant, l'important, c'est que l'égalité des droits soit aujourd'hui garantie par la loi et protégée par la décence commune. Bien entendu, il y a toutes sortes de statistiques qui vous parlent de tout ce qui va mal: salaires, violences, grammaire….Le sexisme est partout! Mais cette vision boutiquière s'oppose à la compréhension historique: faut-il rappeler les gigantesques progrès accomplis en cinquante ans? Peut-on juger d'une situation sans jamais se demander d'où on est partis? J'ajoute que, en brandissant de façon obsessionnelle les inégalités qui subsistent, nos féminocrates empêchent que l'on s'interroge sur leur pouvoir, notamment sur leur pouvoir idéologique. Pendant la campagne des présidentielles 2012, elles ont réussi à faire proférer les mêmes niaiseries sur la suppression de «Mademoiselle» à Hollande et à Sarkozy. C'était un spectacle consternant que celui de deux éminents responsables se pliant avec complaisance à la nouvelle mode langagière imposée par nos matrones qui avaient décidé que ce charmant terme de la langue française devait disparaître. Eh bien, je ne connais pas une seule femme qui ait approuvé cette mesure. Et je suis convaincue que les deux candidats de l'époque la trouvaient ridicules - la lâcheté est tout de même préférable à la sottise….

Assumez-vous la défense sinon d'une inégalité, au moins d'une dissymétrie entre les sexes?

Mais certainement pas, où êtes-vous allée pêcher cette idée? Il n'est pas question de transiger sur l'égalité. Mais sous couvert de combattre les inégalités, c'est à la différence entre les sexes qu'en ont nos «matonnes de Panurge» (pour paraphraser Philippe Muray).

Toutes les théories du genre ne supprimeront pas un fait simple : les hommes et les femmes, ce n'est pas pareil. Et de mon point de vue, c'est cette différence qui rend le monde délicieusement habitable.

Elles ne seront satisfaites que quand les hommes seront des femmes comme les autres et qu'elles auront éradiqué l'idée même de virilité. Je vous vois venir, il ne s'agit pas d'imposer des modèles. Qu'on n'oblige pas les petits garçons à jouer les chevaliers, très bien. Faut-il les encourager à faire les princesses et pousser les filles à jouer au rugby? Nous avons gagné de pouvoir jouer avec les stéréotypes de sorte que, à la chambre comme à la ville, la domination peut changer de camp. Mais sous couvert de les éradiquer, ces stéréotypes, on voudrait imposer le stéréotype unique. Or, toutes les théories du genre ne supprimeront pas un fait simple: les hommes et les femmes, ce n'est pas pareil. Et de mon point de vue, c'est cette différence qui rend le monde délicieusement habitable.

Niez-vous toute utilité au combat féministe ou bien y a-t-il selon vous aujourd'hui des causes féministes justes? Est-ce un combat juste qui s'est dévoyé ou bien une lutte dépassée?

Evidemment que des combats restent à mener, ils sont simples à recenser: ce sont ceux que nos bruyantes néo-féministes ne mènent pas. Par exemple, celui de toutes les femmes musulmanes qui voudraient échapper à l'emprise du groupe, du père, du mari ou du frère et que nous abandonnons au nom de nos grandes idées sur la diversité - c'est bizarre cette tolérance, de la part de groupes fanatiquement intolérants à toute divergence. Mais je dirais que le prochain combat féministe, c'est celui qu'il faut livrer à ce faux féminisme qui, sous couvert de défendre les femmes, veut les assigner à une norme. Car au bout du compte, il est en guerre contre les hommes et contre la masculinité, et du même coup, en guerre contre l'idée même de féminité. J'exagère? Marisol Toraine a eu cette phrase glaçante à la fin du procès de Lille: «Maintenant, les hommes vont devoir faire attention à ce qu'ils font». Ça ne vous fait pas peur? Eh bien vous avez tort…,

http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/07/17/31001-20150717ARTFIG00364-elisabeth-levy-contre-le-feminisme-des-dangereuses-ridicules.php

 

Une analyse sur un blog à découvrir :

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